24 août 2006

Université: une réforme indispensable et... urgente

La situation actuelle de l’université française est très préoccupante. Elle remplit mal ses principales missions et souffre d’un lourd déficit de moyens pour y parvenir.

Des missions mal assurées

• L’université remplit mal son rôle de formation à la vie professionnelle : inadéquation des formations aux besoins de la société (notamment en lettres et sciences humaines), insuffisance des cursus professionnels (IUT, licences et masters pro), très grande insuffisance de la formation continue (inadaptation des horaires, absence de liens structurés avec le monde professionnel, présence des différents organismes de formation professionnelle hors contrôle universitaire), distinction universités-grandes écoles…

• L’université n’est pas le lieu privilégié de la recherche : séparation atypique par rapport aux pays comparables entre enseignement supérieur et recherche, autonomie de gestion et de projet des organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA…), dissémination des moyens financiers et humains.

• L’université n’assure pas suffisamment son rôle d’ascenseur social : reproduction des inégalités (notamment en termes de capital social) dans l’accès, le choix et la réussite des études, sélection par l’échec et l’abandon prématuré des études…


Un déficit de moyens

• L’université souffre d’une grave crise de financement : elle est sous-financée par rapport à l’enseignement secondaire qui a été privilégié à son détriment ces dernières décennies, elle est sous-financée par rapport à ses homologues étrangères et aux différents critères internationaux (OCDE, UE…), elle est sous-financée par rapport aux autres institutions de l’enseignement supérieur (grandes écoles, STS, IUT…).

• L’université souffre également d’un problème d’organisation et de gouvernance : absence d’autonomie, gestion centralisée et uniforme, taille trop petite, obligation d’accueillir tous les bacheliers sans moyens réels d’orientation, cloisonnement trop grande entre disciplines et entre filières.

• L’université est aussi le lieu d’une mauvaise ou d’une absence de gestion des ressources humaines : rigidité statutaire des enseignants-chercheurs, faible attractivité de la carrière en termes de rémunération et de mobilité, insuffisance des personnels d’encadrement administratif, insuffisance de la prise en compte de la différenciation des tâches des enseignants-chercheurs (enseignement, recherche, encadrement, administration, formation…).

Pourtant, chacun s’accorde à reconnaître que la société du savoir et de la connaissance est devenue une nécessité impérieuse pour tout pays ou toute région qui souhaite rester compétitif au XXIe siècle. L’OCDE (à travers la notion de « capital humain » mise en avant dans ses indicateurs) aussi bien que l’Union européenne (à travers les objectifs de la « stratégie de Lisbonne » notamment) ont mis l’accent sur l’objectif prioritaire que représentent l’enseignement supérieur et la recherche dans cette perspective.

D’autant que la compétition universitaire est aujourd’hui internationale comme le montrent différents classements et palmarès (malgré des biais méthodologiques indéniables : part démesurée de la recherche scientifique, langue anglaise…). L’Université Jiao Tong de Shangaï classe ainsi, en 2005, 36 universités américaines dans les 50 premières mondiales, pour seulement 9 européennes et 1 française (Paris 6 qui arrive à la 46e place). Le Times Higher Education Supplement arrive, à partir d’une méthodologie différente, à un résultat tout aussi préoccupant : sur les 50 premières, 20 sont américaines et 13 européennes, dont 2 françaises pour 8 britanniques. Ainsi que l’on regarde ces palmarès ou que l’on observe le pays d’origine des prix Nobel toutes disciplines confondues (19% seulement sont européens depuis 1995) ou le classement des départements d’économie (sur les 50 premiers mondiaux, 5 européens et aucun français), un fait revient dans chaque classement : l’Europe est très en retard et la France est quasi-absente.

L’autre aspect déterminant de la compétitivité du système universitaire tient dans sa capacité à attirer les meilleurs étudiants et chercheurs étrangers et à pouvoir retenir les meilleurs enseignants-chercheurs nationaux. Il s’agit là d’un défi essentiel pour la France – et plus généralement pour l’Europe – qui accueille beaucoup d’étudiants des pays en développement, notamment d’Afrique, et perd de plus en plus de chercheurs et d’enseignants de qualité au profit de systèmes universitaires mieux dotés et mieux organisés (notamment aux Etats-Unis) au sein desquels ils trouvent les moyens de travailler à la fois plus efficacement et plus dignement.

Dans ce cadre, et compte tenu de la situation critique actuelle, la réforme de l’université apparaît aujourd’hui comme indispensable et urgente.

• Le rattrapage est indispensable (mise à niveau du financement, objectif d’une plus grande égalité, nouvelle gouvernance, rapprochement de l’université et de son environnement économique et social, accroissement de son poids dans la recherche, internationalisation…) sous peine d’une relégation définitive de la France comme pays de seconde zone sur le plan de la formation de sa population – avec toutes les conséquences de déclin économique que cela impliquerait du fait du lien étroit entre capacités économiques, croissance et niveau d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche.

• La réforme doit être une priorité politique. La réforme est non seulement indispensable mais elle est aussi urgente. Elle doit ainsi être affichée en tête des priorités de l’action d’un nouvel élu à la Présidence de la République et d’une nouvelle Assemblée nationale en 2007. Cette priorité doit notamment se manifester dans les choix budgétaires et la loi de programmation qui incarneront la mise en œuvre de la réforme.

• La réforme doit être profonde. Il ne peut en aucun cas s’agir d’un replâtrage, elle doit donc être substantielle et suivie sur toute une législature et un mandat présidentiel. Il s’agit d’une réforme de l’ampleur de celle d’Edgar Faure en 1969 ou de Alain Savary en 1984. Elle sera difficile car elle devra s’attaquer de front aux différents aspects de la crise de l’université. Ainsi, par exemple, l’augmentation des moyens devra-t-elle aller de pair avec la réforme des structures et de la gouvernance, car des moyens supplémentaires sans une nouvelle organisation ou une nouvelle organisation (autonomie notamment) sans moyens nouveaux conduiraient à l’échec.

La réforme doit être exemplaire dans sa méthode. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, la réforme de l’université doit aussi servir d’exemple à d’autres réformes, à la fois dans son inspiration en mêlant des objectifs d’efficacité et d’égalité, puisant aux sources des « meilleures pratiques » nationales et internationales, et dans sa mise en œuvre : négociation approfondie avec tous les acteurs, transparence vis-à-vis de la société, implication des élus nationaux et locaux, évaluation permanente des résultats et adaptation des pratiques.