24 août 2006

2e axe de réforme: une nouvelle exigence d'égalité à l'université

• Ce qui frappe d’emblée à l’université, c’est l’inégalité : inégalité des chances entre étudiants issus de milieux sociaux différents, inégalité entre étudiants de l’université et des grandes écoles, inégalité de traitement entre étudiants des différentes filières et des différentes universités (en fonction de leur taille ou de leur localisation), inégalité d’accès aux études entre étudiants en formation initiale et salariés en formation continue…

• Pour lutter efficacement contre ces inégalités et pour être plus facilement acceptée par nos concitoyens, la réforme de l’université doit mettre en exergue comme principe directeur l’exigence d’une véritable égalité pour tous. Elle peut en cela préfigurer d’autres réformes à mener.

• Première inégalité à combattre : celle qui tient à la différence de traitement dans le budget de l’Etat entre les élèves du secondaire et les étudiants de l’université. Il faut mettre un terme au déséquilibre de traitement entre secondaire et supérieur. Comme l’ont bien montré E. Cohen et P. Aghion (rapport « Education et croissance », CAE, 2004), la France est le seul pays de l’OCDE à avoir privilégié le secondaire par rapport au supérieur depuis une vingtaine d’années, ce qui lui donne une configuration éducative plus proche d’un pays en développement (ou d’une « économie de rattrapage ») que d’un pays développé (d’une « économie de l’innovation ») ! Un élève de lycée « coûte » ainsi plus de 10 000 euros par an alors qu’un étudiant à l’université ne « coûte » que 6 700 euros. La priorité budgétaire éducative doit désormais être concentrée sur l’enseignement supérieur après l’avoir été sur le secondaire.

• Deuxième inégalité à combattre : celle qui touche les étudiants de l’université par rapport aux autres formes d’enseignement supérieur. L’inégalité est flagrante dans la mesure où l’étudiant universitaire est le moins bien doté (6 700 euros par an contre 9 160 pour l’étudiant d’IUT, 12 300 pour l’élève de STS et 13 760 pour l’élève de CPGE). Il s’agit là encore d’une priorité à afficher dans la mesure où le problème est celui de l’université et non des autres types d’établissements. L’intégration des CPGE dans les universités (une fois celles-ci réformées dans leur mode de gouvernance bien évidemment) pourrait être un moyen de combattre cette inégalité sans altérer la qualité de la formation, de même que le rapprochement des Grandes écoles et de l’université doit être accentué, au-delà des quelques laboratoires communs qui existent aujourd’hui. L’accentuation de la professionnalisation de certaines formations universitaires (licence et master) est également une manière de rompre avec ces différences entre filières – les passerelles entre formations professionnelles et générales devant être développées à tous les niveaux de diplôme. Enfin, les « moyens d’étude » (bibliothèques, accès aux technologies de l’information et de la communication, télé-enseignement…) doivent être démultipliés dans des locaux dignes de ce nom.

• Troisième inégalité à combattre : la différence de traitement entre les étudiants de l’université entre eux selon les filières et les localisations. Il s’agit ici de mettre fin à la fois à l’arrivée massive d’étudiants dans les premiers cycles de certaines filières (notamment les filières non classiques en lettres et sciences humaines qui manquent de débouchés : sociologie, psychologie, sciences de l’éducation, information et communication, STAPS…) et au gâchis que représente une politique non réfléchie de création d’antennes universitaires dans des villes de taille moyenne. Il s’agit également de revoir la taille des universités et la pertinence du découpage actuel (près de 90 universités sur tout le territoire sous un seul statut malgré des différences considérables : taille, pluridisciplinarité, part des différents cycles, vocation professionnelle ou de recherche…). Il y a là de nombreuses sources d’inégalités entre étudiants, à la fois dans leur formation (qualité de l’enseignement, liberté de choix d’options, taux d’encadrement, taille des bibliothèques, accès aux technologies de l’information et de la communication…) et dans leurs conditions de vie (logement, transport, loisirs…).

• Quatrième inégalité à combattre : la reproduction des inégalités sociales à l’université. Parallèlement à une réforme des droits d’inscription qui pourraient être modulés en fonction du revenu (à partir de l’imposition notamment…) des parents, la mise en place d’un nouveau système de bourses et de prêts est indispensable. Les bourses devraient être réservées aux étudiants les plus démunis en mixant critères sociaux et critères universitaires (sous la forme de « contrats d’étude » notamment permettant un engagement réciproque) et les prêts devraient être à la fois diversifiés (taux zéro, taux préférentiels, extinction de la dette à long terme, remboursement par l’employeur du diplômé…) et en partie garantis par un système public de cautionnement et de mutualisation du risque permettant de prendre en charge le remboursement du prêt des diplômés dont l’emploi n’assure pas un niveau de rémunération suffisant (cf. le système anglais déjà cité). L’Etat pourrait amorcer le système en investissant par exemple 1% des emprunts d’Etat, soit 1,2 Mds d’euros (proposition de l’économiste Alain Trannoy).

• Cinquième inégalité à combattre : l’inégalité face à l'orientation et à la sélection. C’est sans doute aujourd’hui la plus déterminante compte tenu de la massification ces dernières années de l’enseignement supérieur (2 300 000 étudiants, doublement en 20 ans) : privilège des étudiants disposant de « capital social », sélection par l’échec à la fois féroce et opaque, filières « détournées » (les IUT et les STS accueillent sur dossier de bons élèves des séries générales alors que les bacs technologiques voire professionnels se retrouvent dans les filières non sélectives de l’université pour lesquelles ils ne sont pas préparés)… D’ailleurs près de la moitié des étudiants sont aujourd’hui inscrits dans des filières sélectives sur dossier, examen ou concours. Il est donc urgent de mettre fin à ce système au nom d’une égalité réelle des chances, de la transparence et de la responsabilisation de chacun. Dans son contenu, la réforme de l’université sera principalement celle du premier cycle, et notamment de la première année de l’université, puisque c’est là que se concentrent les problèmes : accueil obligatoire de « tous » les bacheliers (après la sélection des CPGE, des STS et des IUT…), inadaptation des formats pédagogiques (cours magistraux et TD surpeuplés dans certaines filières), hyper-sélection par l’abandon (45% de taux d’échec les deux premières années mais avec des différences notables selon l’origine sociale/scolaire des étudiants : 60% d’échec pour les moins favorisés). Une des actions prioritaires, avant la réforme pédagogique elle-même, serait d’orienter les étudiants lors de leur premier cycle à l’université : première année généraliste (de type « propédeutique » ou « collège universitaire »), entretien-discussion d’orientation avec un enseignant à l’issue de celle-ci, passerelles entre les filières grâce à la généralisation du système « majeure-mineures » dans le choix des matières durant les trois premières années (licence). Une meilleure gestion prévisionnelle des filières et de leurs débouchés à 3-5 ans devrait également être mise en place aussi bien pour les concours de la fonction publique que pour l’emploi dans le secteur privé (en collaboration avec les administrations de l’Etat et des CT, le service public de l’emploi et les chambres de commerce et d’industrie notamment). Enfin, plus généralement, l’université doit pouvoir accueillir des formations différentes (professionnelles initiale et continue, généralistes, recherche…) en assumant ces différences sans que cela pénalise l’une ou l’autre de ces spécialisations mais sans laisser aux étudiants l’illusion d’une « égalité de résultats ». Il faut donc absolument refuser à la fois la « secondarisation » de l’université (c’est-à-dire des objectifs quantitatifs du type 60% d’une classe d’âge au niveau licence par exemple) et sa « sanctuarisation » (une université faite par les chercheurs pour les futurs chercheurs…). L’université doit être à la fois « généraliste » (tous types de formation, recherche fondamentale…), « spécialisée » (notamment après l’orientation du premier cycle) et le lieu privilégié de l’égalité des « possibles » (E. Maurin) ou des « capabilités » (A. Sen), c’est-à-dire du choix et des moyens de choisir pour chacun.