24 août 2006

4e axe de réforme: faire de l'université le lieu privilégié de la recherche

• La question de la recherche ne peut être détachée de celle de l’enseignement supérieur. La recherche est l’une des missions essentielles de l’université, en lien étroit avec celle de l’enseignement puisqu’une part importante de celui-ci procède de celle-là. Les deux missions doivent donc être abordées conjointement. Elles devraient d’ailleurs être systématiquement regroupées dans un ministère de plein exercice commun, distinct de l’éducation nationale.

• Outre cette question d’organisation administrative, la recherche française souffre de plusieurs maux, similaires à ceux qui touchent l’université : une insuffisance de moyens, leur trop grande dispersion, une trop grande hétérogénéité des structures. C’est à ces maux qu’il faut s’attaquer en liant les réponses à la crise de la recherche à celles apportées par la réforme de l’université – le destin commun de la recherche et de l’université dépassant largement la question de l’organisation administrative de leur gouvernance.

• L’approche budgétaire et financière de la recherche permet de faire un triple constat : la difficile quantification des moyens disponibles, leur insuffisance et leur dispersion. La recherche française a pris ces dernières années un retard important selon tous les indicateurs internationaux : stagnation du nombre de chercheurs par personnes actives, nombre de publications, taux de citation des publications, nombre de brevets déposés, taux de départ des chercheurs vers l’étranger… Le poids de la recherche en France (fondamentale, appliquée et développement technologique) représente aujourd’hui environ 2,2% du PIB alors que l’UE préconise depuis le Conseil européen de Barcelone de 2002 un objectif de 3% du PIB repris par les gouvernements français (à titre de comparaison 2,7% aux Etats-Unis, 2,9% au Japon et 1,9% dans l’UE). Le financement public de la recherche représente 45% de la Dépense nationale de recherche et développement qui inclut aussi les financements privés (DNRD, 34 milliards d’euros en 2004) mais seulement 16% de la DNRD va à la recherche fondamentale (non finalisée) et à la formation – ces deux éléments composant l’essentiel du rôle de l’université dans la recherche. La part de l’Etat (hors CT et UE) est pour l’essentiel regroupée dans le Budget civil de la recherche et développement (BCRD, 10 milliards d’euros en 2005, soit un peu moins du tiers de la DNRD). Ne sont pas incluses dans le BCRD les dépenses militaires liées à la recherche (les « recherches développement essais » soit 3,3 Mds d’euros en 2001 et la Dépense budgétaire de recherche et développement militaire, soit 3,4 Mds d’euros en 2001). Mais les dépenses de recherche de l’enseignement supérieur ne sont pas non plus incluses dans le BCRD : personnel, fonctionnement et équipement des laboratoires, c’est-à-dire 80% du coût de la recherche à l’université (le BCRD ne contribue que pour 0,5 Mds d’euros à la recherche dans les universités). De plus, les services du ministère de la recherche ne gèrent que 10% des crédits du BCRD. On notera enfin que la mise en place de la LOLF ne permettra pas une beaucoup plus grande lisibilité des dépenses de recherche.

• En termes de personnels de recherche, on doit souligner une double caractéristique du système français. D’une part, le nombre élevé de chercheurs sous statut de la fonction publique. Sur les 330 000 personnes qui travaillent dans des structures liées à la recherche, on dénombre environ 160 000 chercheurs, cadres et ingénieurs de recherche, dont presque la moitié de personnels sous statut public, soit environ 70 000 (chiffres de l’OST, 2004), 50 000 dépendant de l’enseignement supérieur et le reste des EPST (CNRS, INRA…) et des EPIC (CEA, CNES…). D’autre part, la distinction statutaire entre chercheurs (EPST, EPIC) et enseignants-chercheurs (universités) – la Commission européenne a, par exemple, calculé que la France consacrait chaque année 94 000 euros de budget pour un enseignant-chercheur de l’université contre 205 000 euros pour un chercheur public hors université, alors qu’aux Etats-Unis la moyenne est de 171 000 euros. Cette distinction héritée de l’histoire spécifique de l’université française et de la création des EPST (notamment du CNRS avant la Seconde Guerre mondiale pour pallier l’absence de recherche dans les facultés devenus de simples centres de formation) conduit désormais à une trop grande séparation entre deux des missions essentielles de l’université qui se nourrissent et s’enrichissent l’une l’autre. Elle entraîne également des effets de distanciation des personnels sous statut différent au sein des mêmes laboratoires (unités mixtes CNRS-universités) puisque certains (les enseignants-chercheurs) doivent statutairement à la fois assurer des charges de cours et d’encadrement des étudiants de plus en plus lourdes du fait de la massification universitaire tout en faisant des travaux de recherche seuls à même de favoriser l’avancement de leur carrière ; alors que les autres (les chercheurs) peuvent se consacrer pleinement à leurs recherches tout en étant rémunérés en sus de leur traitement s’ils choisissent d’enseigner – en général uniquement d’ailleurs sur leurs objets de recherche. Cette distinction prive la recherche française d’apports essentiels, notamment de la part des enseignants-chercheurs en début de carrière qui se voient confier les tâches d’encadrement les plus lourdes en premier cycle tout particulièrement. Face à cette situation, un rapprochement, qui devrait conduire à terme à une fusion, des corps d’enseignants-chercheurs (maîtres de conférences et professeurs) et des corps de chercheurs (chargés de recherche et directeurs de recherche) apparaît comme indispensable. A la fois pour des raisons d’équité statutaire, de convergence avec nos partenaires européens et internationaux et d’efficacité de la recherche française. Enfin, le vivier de recrutement des futurs enseignants-chercheurs doit être élargi pour y inclure les Grandes écoles – puisque celles-ci attirent les meilleurs étudiants en début de parcours et ne les destinent pas à la recherche, ce qui n’est pas le cas dans les autres grands pays.

• C’est, plus généralement, l’organisation elle-même du paysage de la recherche française qu’il faut revoir. L’émiettement et la séparation des institutions entre universités et assimilés (93 établissements), organismes de recherche (9 EPST) et 15 EPIC dilue considérablement l’effort de recherche à la fois en raison d’une allocation non optimale des moyens et d’une grande dépense d’énergie dans la gouvernance administrative et humaine de l’ensemble. Ainsi, par exemple, l’existence d’un organisme généraliste distinct de l’université, le CNRS (statut des personnels, budget autonome…), qui est à la fois agence de moyens, structure d’évaluation (comité national) et regroupement de laboratoires (dont un grand nombre sont communs avec l’université) pose-t-elle un problème d’organisation. D’autant que la multiplication des organismes spécialisés (dont certains ont une réelle légitimité sectorielle, tel l’INRA par exemple), des institutions chargées de gouverner ou de financer la recherche (dernières en date : l’Agence nationale pour la recherche et l’Agence pour l’innovation industrielle…) et des organes d’évaluation spécifiques à chaque institution rend plus opaque et moins compréhensible encore le paysage. La simplification administrative et stratégique de celui-ci doit être une priorité : transformation du CNRS en agence générale de moyens de la recherche française ; intégration pleine des laboratoires et de leurs effectifs dans les universités (celles-ci étant regroupées, évaluées, autonomisées dans leur gestion et occupant une position centrale dans des pôles régionalisés) ; évaluation hors des pairs et hors des organismes sur critères internationaux ; concentration des moyens publics sur la recherche fondamentale et sur les équipes sélectionnées sur des critères de recherche fondamentale ; davantage d’attention portée aux sciences de l’homme et de la société dont l’apport est aujourd’hui négligé.

• Enfin il est indispensable de souligner que la recherche doit être aujourd’hui envisagée au niveau européen. Depuis le Traité d’Amsterdam, la recherche fait partie des objectifs de l’UE. Cette ambition s’incarne notamment à travers l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche à l’horizon 2010 grâce notamment à un financement plus important du secteur privé (qui devrait représenter 65% des dépenses contre 55% aujourd’hui). L’outil principal de l’UE est, depuis 1984, le Programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) qui représente désormais près de 4% du budget européen (soit 17,5 Mds d’euros) dont les objectifs sont : de mettre fin au cloisonnement de la recherche et de l’innovation en Europe grâce à une meilleure coordination (pôles de recherche européens en technologies de l’information, en génomique et en développement durable) ; de structurer l’Espace européen de recherche (EER) en favorisant la mobilité des chercheurs (bourses Marie-Curie) et en modernisant les infrastructures de recherche ; et de développer des initiatives communes comme dans le domaine spatial. Par exemple, l’européanisation d’une partie du financement de la recherche et des méthodes qui y sont liées (choix des programmes, évaluation, mobilité…) représente un atout important dans le cadre de la réforme de l’université et de l’intégration de la recherche fondamentale en son sein, car c’est le modèle largement dominant en Europe, à l’encontre de l’exception française isolant une bonne part de la recherche de l’université. Ce processus d’intégration européenne doit donc être largement encouragé et favorisé, en parallèle de celui, déjà important, favorisant l’échange d’étudiants européens à travers les programmes de type ERASMUS ou SOCRATES, ou encore de l’harmonisation des diplômes (processus intergouvernemental dit « de Bologne ») autour du LMD (licence, master, doctorat).