24 août 2006

Pour lancer la discussion...

Au moment où s'amorce une année électorale importante, le débat public sur l'avenir de l'université - et plus généralement de l'enseignement supérieur et de la recherche - doit s'ouvrir. Il doit s'ouvrir bien davantage qu'au travers des quelques propos généraux que l'on trouve dans les programmes (en l'état...) des partis politiques, et surtout aller bien au-delà des échanges timides suscités par les travaux de la commission du débat national "Université-emploi" (www.debat-universite-emploi.education.fr/) hâtivement mise en place par le gouvernement Villepin au lendemain des manifestations contre le CPE au printemps 2006.

Ce blog propose un espace de débat à tous les intervenants qu'ils soient universitaires, étudiants, responsables administratifs, politiques ou syndicaux, décideurs économiques, journalistes, citoyens intéressés... Ils pourront s'exprimer librement, cet exercice de débat argumenté ayant vocation à contribuer au printemps prochain à nourrir la réflexion des candidats à l'élection présidentielle.

Pour lancer la discussion, je propose outre une problématique introductive, 6 axes de réforme (voir les articles ci-dessous), chacun comportant, de manière inégale, à la fois des informations et des pistes de réforme. Ces pistes n'engagent que leur auteur et sont surtout ouvertes dans l'intention de susciter le débat.

Outre les commentaires que pourront susciter les différents articles et messages, ce blog permettra aussi à ses lecteurs de disposer des "pièces du débat" sur la réforme de l'université (ex. rapports publics, articles de presse, sites internet, tribunes...).

Bonne lecture et bon débat !

6e axe de réforme: rendre plus attractif le métier d'universitaire

• La réforme de l’université ne pourra se faire qu’à la condition que les enseignants-chercheurs (EC) qui en sont la principale ressource l’acceptent – soit aujourd’hui environ 85 000 personnes (tous statuts confondus). Il est donc impératif de rendre plus attractif leur métier et leurs carrières, celles-ci en ayant un besoin crucial si, outre la faisabilité de la réforme, la France veut maintenir son rang international en matière d’enseignement et de recherche. Au-delà de l’exigence de rationalisation du métier par le regroupement des chercheurs et des EC déjà signalé, de nombreuses modifications sont nécessaires.

• La question se pose d’abord de la rémunération de l’activité d’EC. Le principe qui peut être retenu ici étant celui d’une meilleure adéquation entre la réalité du travail universitaire et sa rémunération. Aujourd’hui la rémunération des EC dépend essentiellement de leur service d’enseignement calculé sur une base fixe (éventuellement agrémentée d’heures complémentaires en cas de dépassement) de 192 heures équivalent-TD quels que soient leurs corps, leurs classes, leur âge, leurs lieux d’enseignement, leurs responsabilités effectives, leurs motivations, leurs compétences réelles… Cette uniformité est à la fois démotivante et profondément injuste puisqu’elle ne prend absolument pas en compte le travail réel effectué. Il est donc indispensable de diversifier les conditions de la rémunération des EC. De manière générale, les grilles de traitement doivent être rendues plus attractives, notamment en début de carrière (pour les maîtres de conférences, MCF, essentiellement), une revalorisation d’ensemble sera indispensable à l’acceptation de réformes plus qualitatives des rémunérations. Ainsi, par exemple, les conditions de l’avancement doivent-elles être diversifiées, à rebours de la généralisation de l’avancement à l’ancienneté qui a encore été renforcé pour les maîtres de conférences en 2000 avec la suppression des deux classes. Ainsi, par exemple, les prises de responsabilité effectives à tous les niveaux et pas seulement au niveau de la direction d’une UFR par exemple (direction de formations et diplômes, encadrement d’étudiants de tous les cycles, recherche et suivi de stages…) devraient pouvoir être sanctionnées par des primes plus nombreuses et plus rapidement accessibles (la prime d’encadrement doctoral et de recherche est ainsi insuffisamment accessible et essentiellement attribuée sur des critères quantitatifs liés au nombre d’étudiants encadrés sans aucune considération pour la qualité de l’encadrement). On touche là à la question-clef de l’évaluation des EC. Aujourd’hui, lorsqu’elle existe (elle n’est pratiquée de fait qu’au moment d’un recrutement, d’un changement de corps de MCF à professeur, de classe de professeur ou d’une mutation dans un autre établissement) elle reste quasi-uniquement fondée sur les travaux de recherche alors que le temps d’un EC est beaucoup plus diversifié (enseignement et recherche certes mais aussi encadrement et gestion administrative, ces deux derniers postes étant d’autant plus prenants qu’ils concernent les premiers cycles aux effectifs massifs). Des procédures d’évaluation de l’ensemble de l’activité devraient être mises en place pour permettre une juste reconnaissance de la diversité du travail accompli par chacun dès lors que le statut lui-même ne le permet pas du fait de son homogénéité (primes, avancement plus rapide, décharges horaires…). Les principes de ce type d’évaluation renvoient à l’indépendance entre évaluateurs et évalués (même si les étudiants, à condition qu’ils soient davantage responsabilisés dans leurs études, devraient être partie prenante du processus d’évaluation des EC) et à la mise au point de critères adaptés aux exigences et contraintes, locales notamment – là encore une forme d’accord contractuel pluriannuel entre EC et institution serait porteur de transparence et d’efficacité.

• On peut également s’interroger sur la mobilité des EC qui est aujourd’hui largement insuffisante, à la fois pour rendre le métier attractif et pour permettre aux EC d’aller diversifier leurs savoirs au contact d’autres institutions et réalités que l’université ou encore de leur permettre d’apporter à ces institutions leur expérience et leur regard spécifique. La mobilité est d’abord interne, entre les différentes activités de l’EC. Celui-ci devrait en effet pouvoir disposer de davantage de liberté dans la gestion de son temps et de sa carrière entre enseignement, recherche et autres tâches : périodes sabbatiques, délégations ou détachements pour recherche, libre organisation de son temps dans l’année universitaire ou sur son cycle de vie professionnelle…. Le rapprochement déjà évoqué des corps d’EC et de chercheurs est un préalable indispensable à une telle évolution, tout particulièrement pour les EC qui entrent dans le métier. La mobilité doit également être encouragée et facilitée vers d’autres postes de la fonction publique – en échange de la venue d’autres fonctionnaires de même catégorie (A) à l’université par exemple, ce qui pourrait contribuer à améliorer la gestion de celles-ci en particulier. Il est également indispensable de favoriser la mobilité à l’extérieur de la fonction publique, dans les entreprises ou le tiers-secteur notamment, ce qui permettrait d’améliorer et de développer les relations entre les universités et leur environnement économique et social. Enfin, il est crucial d’investir massivement sur la mobilité internationale des universitaires (financements adaptés, cours de langue, accords d’échange avec des établissements étrangers, conditions d’accueil des EC invités dans les établissements français…). Elle existe aujourd’hui mais de manière trop sporadique, individualisée et pas toujours bien perçue par l’institution qui peut ne pas la favoriser pour des raisons de pénurie de « main-d’œuvre » enseignante.

• La question se pose enfin de l’entrée dans la carrière universitaire. Les conditions du recrutement des EC doivent elles aussi être améliorées. La situation actuelle d’une absence de débouchés pour de nombreux docteurs désireux de devenir EC montre non seulement que les moyens budgétaires ne sont pas suffisants – à la fois dans la logique de l’accent mis sur le société de la connaissance comme condition sine qua non de la compétitivité du pays et dans la perspective d’une gestion prévisionnelle des effectifs compte tenu des départs en retraite massifs qui vont intervenir dans l’enseignement supérieur dans les dix ans qui viennent – mais aussi l’incohérence du système qui pousse vers des formations longues et difficiles des étudiants qui n’en ont pas toujours la capacité ou qui ne pourront se voir offrir de véritable débouché. On laissera de côté ici la question cruciale de la valeur accordée au doctorat dans notre système professionnel qui devra également faire l’objet d’une profonde réforme, car la France est le seul pays où les titulaires d’un doctorat ne sont pas reconnus comme les meilleurs spécialistes de leur domaine – et embauchés comme tels… La première piste à suivre pour améliorer cet état de fait serait de limiter l’accès en doctorat à des étudiants à la fois très motivés et ayant déjà montré des capacités de recherche tout en leur assurant des conditions décentes de réalisation de leur thèse – financement systématique, aide à la mobilité, encadrement réel et suivi, charges de cours adaptées, souplesse dans le temps de réalisation de la thèse… Le développement des financements (allocations de recherche, CIFRE…) en même temps que le durcissement des critères d’accès (limitation du nombre de thésards par directeur, consistance du projet de thèse, intervention systématique de l’école doctorale en formation collégiale dans le processus, engagement réciproque par contrat entre l’étudiant, le directeur de thèse et l’institution…) permettrait une première sélection en amont. Le temps de la thèse devant rester un moment non de précarité mais de formation et de « choix réciproque » entre doctorant et futurs collègues éventuels. Ensuite la règle simple à mettre en application de l’impossibilité de présenter sa première candidature à un poste d’EC dans l’établissement où l’on a réalisé sa thèse permettrait d’éviter les effets ravageurs du « localisme » qui conduit au recrutement en circuit fermé et donc de générer une plus grande mobilité des EC et des candidats. Plus largement, le respect de critères transparents et généralisés pour le recrutement permettrait aux candidats de mieux se repérer et de mieux préparer leurs candidatures aux postes d’EC. Enfin, il serait utile de multiplier, notamment dans les disciplines non scientifiques où cela reste peu répandu, les formules de type post-doc pour permettre aux doctorants-candidats de continuer à se former dans les meilleures conditions, notamment à l’étranger, sans perdre ni leur temps ni leurs capacités de recherche.

5e axe de réforme: une meilleure gouvernance de l'université

• Aujourd’hui les universités françaises ne sont pas autonomes : absence de politique des ressources humaines, règles contraignantes de la comptabilité publique, maîtrise aléatoire des ressources, paralysie de la « démocratie des conseils » issue de la loi Savary de 1984 qui a créé les trois conseils (administration, scientifique et « études et vie universitaire ») et fait élire le président de l’université par des collèges d’enseignants, de personnels techniques et administratifs et d’étudiants. Les présidents des universités administrent leurs établissements, au mieux, sous contrainte. Autre point à noter, les personnels non enseignants ne sont pas adaptés aux besoins contemporains de la gestion des universités : il s’agit essentiellement de personnels d’exécution alors qu’elles ont besoin de cadres (gestionnaires des finances et des ressources humaines, formés aux questions internationales, à la communication…) notamment pour pallier l’incompétence dans ces domaines des enseignants-chercheurs dont ce n’est pas le métier.

• Pour autant, la question de l’autonomie des universités ne peut être sérieusement abordée qu’à partir du moment où des questions structurelles auront été résolues, notamment celle de la taille critique des établissements ou encore celle de leur évaluation, et plus généralement celle des nouveaux moyens de leur financement. Donner l’autonomie de gestion aux universités dans l’état actuel de pénurie et de dispersion ne servirait pas à grand chose – voire pourrait aggraver la situation. Cette autonomie reste pourtant indispensable si la France entend rattraper son retard et rester dans la compétition universitaire internationale tant en matière d’enseignement que de recherche ou de formation professionnelle.

• Outre l’augmentation des moyens financiers, une des premières questions à régler est celle de la taille des universités. Aujourd’hui les universités françaises sont de trop petite taille pour aborder le défi de leur européanisation et de leur internationalisation. Elles ne sont compétitives ni dans le domaine de l’enseignement ni dans celui de la recherche. Le rapprochement, voire la fusion, des petits établissements doit être encouragé – cela pourrait se faire au sein des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) qui fonctionnent depuis le début 2006 (il faudra attendre d’en faire une première évaluation pour voir s’il s’agit de la forme pertinente de rationalisation de la carte universitaire). Il faut également revoir la politique de délocalisation de morceaux d’universités qui s’est faite en particulier à travers la création des « antennes universitaires ». Celles-ci ne sont justifiées que lorsqu’elles sont liées à un projet, notamment autour de débouchés dans un bassin d’emploi, ancré dans une situation locale spécifique. Il ne peut s’agir comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui de satisfaire les besoins de reconnaissance des élus locaux en développant ces lieux où s’approfondissent encore les inégalités entre les étudiants qui les fréquentent (offre réduite d’enseignement, vie étudiante inexistante, accès insuffisant aux moyens de documentation et de recherche…). Il faut au contraire utiliser les financements parfois importants que sont prêtes à investir les CT pour favoriser la mobilité des étudiants locaux vers les centres universitaires (logement, transport…) qui doivent être regroupés pour mieux utiliser leurs moyens dans tous ces domaines.

• L’autonomie des universités pourrait s’articuler autour de quelques principes (cf. notamment le projet de loi Ferry abandonné en 2004) : la globalisation du budget par université assortie d’une contractualisation pluriannuelle avec l’Etat (liberté dans la répartition des dépenses) ; fonctionnement plus souple dans leur direction administrative et scientifique (constitution d’équipes de direction homogènes autour d’un président qui pourrait être choisi sur appel d’offre à l’extérieur, plus besoin de l’avis du ministère pour la création et la suppression de certains diplômes ou filières par exemple…) ; évaluation par des instances indépendantes et sur critères européens et internationaux ; détermination d’un plan stratégique pluriannuel pour orienter l’activité de l’université et se fixer des objectifs précis conformément à des missions réaffirmées et soutenues financièrement par l’Etat. Pour avancer concrètement sur le terrain de l’autonomie, on dispose déjà d’exemples qui fonctionnent et dont on pourrait s’inspirer dans un processus graduel et d’expérimentation croissante : les trois universités de technologie qui ont une gouvernance propre plus autonome que celles de leurs grandes sœurs pourrait servir de site d’expérimentation ; l’expérimentation des « conseils d’orientation » (composés de personnalités extérieures à l’établissement compétentes dans leurs domaines respectifs) mériterait également d’être reprise. Au-delà la diversité statutaire entre établissements pourrait apporter des solutions (ainsi par exemple la transformation de certains départements ou de certaines universités en « grand établissement » ouvrant vers un statut d’autonomie de gestion : Sciences Po, EHESS, Paris-Dauphine…).

• Les établissements universitaires ne sont pas non plus suffisamment, en règle générale, ouverts sur leur environnement immédiat. Les CT (régions et grandes agglomérations essentiellement) devraient pouvoir contractualiser davantage leurs relations avec les universités dans la mesure où elles peuvent apporter des moyens supplémentaires et orienter au plus près des besoins certains aspects de la politique universitaire (logement, formation professionnelle…). De même, les entreprises et les organisations du tissu social devraient pouvoir être associées plus étroitement à la vie de l’université. Non pour en déterminer les missions et le contenu mais pour établir avec elles des projets spécifiques sous la forme de contrats qu’il s’agisse de formation professionnelle ou de recherche par exemple. Le modèle des conventions CIFRE pour le financement des thèses est un bon exemple de ce type de relations et devrait être développé.

4e axe de réforme: faire de l'université le lieu privilégié de la recherche

• La question de la recherche ne peut être détachée de celle de l’enseignement supérieur. La recherche est l’une des missions essentielles de l’université, en lien étroit avec celle de l’enseignement puisqu’une part importante de celui-ci procède de celle-là. Les deux missions doivent donc être abordées conjointement. Elles devraient d’ailleurs être systématiquement regroupées dans un ministère de plein exercice commun, distinct de l’éducation nationale.

• Outre cette question d’organisation administrative, la recherche française souffre de plusieurs maux, similaires à ceux qui touchent l’université : une insuffisance de moyens, leur trop grande dispersion, une trop grande hétérogénéité des structures. C’est à ces maux qu’il faut s’attaquer en liant les réponses à la crise de la recherche à celles apportées par la réforme de l’université – le destin commun de la recherche et de l’université dépassant largement la question de l’organisation administrative de leur gouvernance.

• L’approche budgétaire et financière de la recherche permet de faire un triple constat : la difficile quantification des moyens disponibles, leur insuffisance et leur dispersion. La recherche française a pris ces dernières années un retard important selon tous les indicateurs internationaux : stagnation du nombre de chercheurs par personnes actives, nombre de publications, taux de citation des publications, nombre de brevets déposés, taux de départ des chercheurs vers l’étranger… Le poids de la recherche en France (fondamentale, appliquée et développement technologique) représente aujourd’hui environ 2,2% du PIB alors que l’UE préconise depuis le Conseil européen de Barcelone de 2002 un objectif de 3% du PIB repris par les gouvernements français (à titre de comparaison 2,7% aux Etats-Unis, 2,9% au Japon et 1,9% dans l’UE). Le financement public de la recherche représente 45% de la Dépense nationale de recherche et développement qui inclut aussi les financements privés (DNRD, 34 milliards d’euros en 2004) mais seulement 16% de la DNRD va à la recherche fondamentale (non finalisée) et à la formation – ces deux éléments composant l’essentiel du rôle de l’université dans la recherche. La part de l’Etat (hors CT et UE) est pour l’essentiel regroupée dans le Budget civil de la recherche et développement (BCRD, 10 milliards d’euros en 2005, soit un peu moins du tiers de la DNRD). Ne sont pas incluses dans le BCRD les dépenses militaires liées à la recherche (les « recherches développement essais » soit 3,3 Mds d’euros en 2001 et la Dépense budgétaire de recherche et développement militaire, soit 3,4 Mds d’euros en 2001). Mais les dépenses de recherche de l’enseignement supérieur ne sont pas non plus incluses dans le BCRD : personnel, fonctionnement et équipement des laboratoires, c’est-à-dire 80% du coût de la recherche à l’université (le BCRD ne contribue que pour 0,5 Mds d’euros à la recherche dans les universités). De plus, les services du ministère de la recherche ne gèrent que 10% des crédits du BCRD. On notera enfin que la mise en place de la LOLF ne permettra pas une beaucoup plus grande lisibilité des dépenses de recherche.

• En termes de personnels de recherche, on doit souligner une double caractéristique du système français. D’une part, le nombre élevé de chercheurs sous statut de la fonction publique. Sur les 330 000 personnes qui travaillent dans des structures liées à la recherche, on dénombre environ 160 000 chercheurs, cadres et ingénieurs de recherche, dont presque la moitié de personnels sous statut public, soit environ 70 000 (chiffres de l’OST, 2004), 50 000 dépendant de l’enseignement supérieur et le reste des EPST (CNRS, INRA…) et des EPIC (CEA, CNES…). D’autre part, la distinction statutaire entre chercheurs (EPST, EPIC) et enseignants-chercheurs (universités) – la Commission européenne a, par exemple, calculé que la France consacrait chaque année 94 000 euros de budget pour un enseignant-chercheur de l’université contre 205 000 euros pour un chercheur public hors université, alors qu’aux Etats-Unis la moyenne est de 171 000 euros. Cette distinction héritée de l’histoire spécifique de l’université française et de la création des EPST (notamment du CNRS avant la Seconde Guerre mondiale pour pallier l’absence de recherche dans les facultés devenus de simples centres de formation) conduit désormais à une trop grande séparation entre deux des missions essentielles de l’université qui se nourrissent et s’enrichissent l’une l’autre. Elle entraîne également des effets de distanciation des personnels sous statut différent au sein des mêmes laboratoires (unités mixtes CNRS-universités) puisque certains (les enseignants-chercheurs) doivent statutairement à la fois assurer des charges de cours et d’encadrement des étudiants de plus en plus lourdes du fait de la massification universitaire tout en faisant des travaux de recherche seuls à même de favoriser l’avancement de leur carrière ; alors que les autres (les chercheurs) peuvent se consacrer pleinement à leurs recherches tout en étant rémunérés en sus de leur traitement s’ils choisissent d’enseigner – en général uniquement d’ailleurs sur leurs objets de recherche. Cette distinction prive la recherche française d’apports essentiels, notamment de la part des enseignants-chercheurs en début de carrière qui se voient confier les tâches d’encadrement les plus lourdes en premier cycle tout particulièrement. Face à cette situation, un rapprochement, qui devrait conduire à terme à une fusion, des corps d’enseignants-chercheurs (maîtres de conférences et professeurs) et des corps de chercheurs (chargés de recherche et directeurs de recherche) apparaît comme indispensable. A la fois pour des raisons d’équité statutaire, de convergence avec nos partenaires européens et internationaux et d’efficacité de la recherche française. Enfin, le vivier de recrutement des futurs enseignants-chercheurs doit être élargi pour y inclure les Grandes écoles – puisque celles-ci attirent les meilleurs étudiants en début de parcours et ne les destinent pas à la recherche, ce qui n’est pas le cas dans les autres grands pays.

• C’est, plus généralement, l’organisation elle-même du paysage de la recherche française qu’il faut revoir. L’émiettement et la séparation des institutions entre universités et assimilés (93 établissements), organismes de recherche (9 EPST) et 15 EPIC dilue considérablement l’effort de recherche à la fois en raison d’une allocation non optimale des moyens et d’une grande dépense d’énergie dans la gouvernance administrative et humaine de l’ensemble. Ainsi, par exemple, l’existence d’un organisme généraliste distinct de l’université, le CNRS (statut des personnels, budget autonome…), qui est à la fois agence de moyens, structure d’évaluation (comité national) et regroupement de laboratoires (dont un grand nombre sont communs avec l’université) pose-t-elle un problème d’organisation. D’autant que la multiplication des organismes spécialisés (dont certains ont une réelle légitimité sectorielle, tel l’INRA par exemple), des institutions chargées de gouverner ou de financer la recherche (dernières en date : l’Agence nationale pour la recherche et l’Agence pour l’innovation industrielle…) et des organes d’évaluation spécifiques à chaque institution rend plus opaque et moins compréhensible encore le paysage. La simplification administrative et stratégique de celui-ci doit être une priorité : transformation du CNRS en agence générale de moyens de la recherche française ; intégration pleine des laboratoires et de leurs effectifs dans les universités (celles-ci étant regroupées, évaluées, autonomisées dans leur gestion et occupant une position centrale dans des pôles régionalisés) ; évaluation hors des pairs et hors des organismes sur critères internationaux ; concentration des moyens publics sur la recherche fondamentale et sur les équipes sélectionnées sur des critères de recherche fondamentale ; davantage d’attention portée aux sciences de l’homme et de la société dont l’apport est aujourd’hui négligé.

• Enfin il est indispensable de souligner que la recherche doit être aujourd’hui envisagée au niveau européen. Depuis le Traité d’Amsterdam, la recherche fait partie des objectifs de l’UE. Cette ambition s’incarne notamment à travers l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche à l’horizon 2010 grâce notamment à un financement plus important du secteur privé (qui devrait représenter 65% des dépenses contre 55% aujourd’hui). L’outil principal de l’UE est, depuis 1984, le Programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) qui représente désormais près de 4% du budget européen (soit 17,5 Mds d’euros) dont les objectifs sont : de mettre fin au cloisonnement de la recherche et de l’innovation en Europe grâce à une meilleure coordination (pôles de recherche européens en technologies de l’information, en génomique et en développement durable) ; de structurer l’Espace européen de recherche (EER) en favorisant la mobilité des chercheurs (bourses Marie-Curie) et en modernisant les infrastructures de recherche ; et de développer des initiatives communes comme dans le domaine spatial. Par exemple, l’européanisation d’une partie du financement de la recherche et des méthodes qui y sont liées (choix des programmes, évaluation, mobilité…) représente un atout important dans le cadre de la réforme de l’université et de l’intégration de la recherche fondamentale en son sein, car c’est le modèle largement dominant en Europe, à l’encontre de l’exception française isolant une bonne part de la recherche de l’université. Ce processus d’intégration européenne doit donc être largement encouragé et favorisé, en parallèle de celui, déjà important, favorisant l’échange d’étudiants européens à travers les programmes de type ERASMUS ou SOCRATES, ou encore de l’harmonisation des diplômes (processus intergouvernemental dit « de Bologne ») autour du LMD (licence, master, doctorat).

3e axe de réforme: développer les formations à vocation professionnelle à l'université

• Dans le cadre d’ensemble d’une université généraliste, les formations « professionnalisantes » doivent être développées. D’abord parce qu’elles représentent à la fois une bonne garantie d’insertion professionnelle pour les titulaires de diplômes de ce type et l’assurance d’une qualité de la formation orientée non seulement vers les besoins du milieu professionnel mais aussi vers ceux du futur salarié. Ensuite parce que les formations à vocation professionnelles qui existent à l’université (IUT, licence pro, master pro et plus généralement l’essentiel des formations des facultés de médecine et de droit…) apparaissent généralement comme des réussites. Enfin, la vocation professionnelle de l’université doit être rappelée de manière forte compte tenu de la nécessaire amélioration générale du niveau de qualification des emplois dans le cadre de l’économie du savoir et de la connaissance. Attention toutefois ! Il est important de rappeler que le développement indispensable des filières professionnelles (dont beaucoup existent déjà) et leur amélioration ne doit pas se faire au détriment des autres missions de l’université, notamment de la recherche, comme cela a trop souvent été le cas jusqu’à maintenant.

• Développer les dispositifs existants et « lisser » les parcours entre les niveaux de formations en assurant une continuité entre IUT, licence pro et master pro jusqu’au doctorat. La professionnalisation devant intervenir à tous les niveaux de sortie de l’université (bac+2/3/5 ou 8). La spécificité de l’université doit se situer à un double niveau : qualité de la formation par des enseignants-chercheurs alliés à des professionnels et présence d’éléments de formation générale dans les cursus « pro » afin de faciliter évolution et reconversion des étudiants et des salariés.

• Améliorer l’alternance dans les formations à vocation professionnelle à l’université. Les stages apparaissent en effet comme le point le plus problématique à la fois pour les formations existantes et pour le développement de ces formations. C’est aussi une des différences essentielles avec les Grandes écoles. L’amélioration de la formation en alternance par la pratique de stages viendra d’une meilleure collaboration entre les universités et les employeurs potentiels ainsi que d’une meilleure organisation des services de stage dans l’université : personnel plus nombreux et spécialisé, temps disponible et valorisé dans leur carrière pour les enseignants qui s’occupent des stages dans les différentes formations.

• Renforcer le rôle de l’université dans la formation professionnelle continue. Ce peut être le cas notamment en profitant de la mise en place des parcours de formation tout au long de la vie – ainsi que par l’apprentissage. Il n’est pas normal que l’université joue un rôle aussi réduit dans la formation professionnelle continue en France. A la fois par rapport à ce qui se passe dans les pays comparables et en termes de certification et de qualité des formations – surtout si on compare les universités au foisonnement, à la grande hétérogénéité et à l’inégale qualité des organismes de formation professionnelle continue. L’enjeu est également financier dans la mesure où la taxe d’apprentissage pourrait davantage financer l’université. De la même manière, la « validation des acquis de l’expérience » (VAE) doit être développée et mieux encadrée par l’université (en relation notamment avec l’AFPA).

• Pour réussir cette transition vers « l’université professionnelle », il faudra développer le suivi des diplômés une fois sortis de l’université en organisant notamment des associations d’anciens par filière et/ou par diplôme à la manière des Grandes écoles – ces associations permettant aussi de faire remonter et de diffuser l’information. Au-delà ce suivi nécessite de dégager des moyens en personnel (administratifs, enseignants-chercheurs) qui n’existent pas ou peu aujourd’hui. Ce suivi et le taux d’insertion des diplômés pourrait également servir de moyen de pilotage nouveau pour l’évaluation et le financement des différentes formations.

2e axe de réforme: une nouvelle exigence d'égalité à l'université

• Ce qui frappe d’emblée à l’université, c’est l’inégalité : inégalité des chances entre étudiants issus de milieux sociaux différents, inégalité entre étudiants de l’université et des grandes écoles, inégalité de traitement entre étudiants des différentes filières et des différentes universités (en fonction de leur taille ou de leur localisation), inégalité d’accès aux études entre étudiants en formation initiale et salariés en formation continue…

• Pour lutter efficacement contre ces inégalités et pour être plus facilement acceptée par nos concitoyens, la réforme de l’université doit mettre en exergue comme principe directeur l’exigence d’une véritable égalité pour tous. Elle peut en cela préfigurer d’autres réformes à mener.

• Première inégalité à combattre : celle qui tient à la différence de traitement dans le budget de l’Etat entre les élèves du secondaire et les étudiants de l’université. Il faut mettre un terme au déséquilibre de traitement entre secondaire et supérieur. Comme l’ont bien montré E. Cohen et P. Aghion (rapport « Education et croissance », CAE, 2004), la France est le seul pays de l’OCDE à avoir privilégié le secondaire par rapport au supérieur depuis une vingtaine d’années, ce qui lui donne une configuration éducative plus proche d’un pays en développement (ou d’une « économie de rattrapage ») que d’un pays développé (d’une « économie de l’innovation ») ! Un élève de lycée « coûte » ainsi plus de 10 000 euros par an alors qu’un étudiant à l’université ne « coûte » que 6 700 euros. La priorité budgétaire éducative doit désormais être concentrée sur l’enseignement supérieur après l’avoir été sur le secondaire.

• Deuxième inégalité à combattre : celle qui touche les étudiants de l’université par rapport aux autres formes d’enseignement supérieur. L’inégalité est flagrante dans la mesure où l’étudiant universitaire est le moins bien doté (6 700 euros par an contre 9 160 pour l’étudiant d’IUT, 12 300 pour l’élève de STS et 13 760 pour l’élève de CPGE). Il s’agit là encore d’une priorité à afficher dans la mesure où le problème est celui de l’université et non des autres types d’établissements. L’intégration des CPGE dans les universités (une fois celles-ci réformées dans leur mode de gouvernance bien évidemment) pourrait être un moyen de combattre cette inégalité sans altérer la qualité de la formation, de même que le rapprochement des Grandes écoles et de l’université doit être accentué, au-delà des quelques laboratoires communs qui existent aujourd’hui. L’accentuation de la professionnalisation de certaines formations universitaires (licence et master) est également une manière de rompre avec ces différences entre filières – les passerelles entre formations professionnelles et générales devant être développées à tous les niveaux de diplôme. Enfin, les « moyens d’étude » (bibliothèques, accès aux technologies de l’information et de la communication, télé-enseignement…) doivent être démultipliés dans des locaux dignes de ce nom.

• Troisième inégalité à combattre : la différence de traitement entre les étudiants de l’université entre eux selon les filières et les localisations. Il s’agit ici de mettre fin à la fois à l’arrivée massive d’étudiants dans les premiers cycles de certaines filières (notamment les filières non classiques en lettres et sciences humaines qui manquent de débouchés : sociologie, psychologie, sciences de l’éducation, information et communication, STAPS…) et au gâchis que représente une politique non réfléchie de création d’antennes universitaires dans des villes de taille moyenne. Il s’agit également de revoir la taille des universités et la pertinence du découpage actuel (près de 90 universités sur tout le territoire sous un seul statut malgré des différences considérables : taille, pluridisciplinarité, part des différents cycles, vocation professionnelle ou de recherche…). Il y a là de nombreuses sources d’inégalités entre étudiants, à la fois dans leur formation (qualité de l’enseignement, liberté de choix d’options, taux d’encadrement, taille des bibliothèques, accès aux technologies de l’information et de la communication…) et dans leurs conditions de vie (logement, transport, loisirs…).

• Quatrième inégalité à combattre : la reproduction des inégalités sociales à l’université. Parallèlement à une réforme des droits d’inscription qui pourraient être modulés en fonction du revenu (à partir de l’imposition notamment…) des parents, la mise en place d’un nouveau système de bourses et de prêts est indispensable. Les bourses devraient être réservées aux étudiants les plus démunis en mixant critères sociaux et critères universitaires (sous la forme de « contrats d’étude » notamment permettant un engagement réciproque) et les prêts devraient être à la fois diversifiés (taux zéro, taux préférentiels, extinction de la dette à long terme, remboursement par l’employeur du diplômé…) et en partie garantis par un système public de cautionnement et de mutualisation du risque permettant de prendre en charge le remboursement du prêt des diplômés dont l’emploi n’assure pas un niveau de rémunération suffisant (cf. le système anglais déjà cité). L’Etat pourrait amorcer le système en investissant par exemple 1% des emprunts d’Etat, soit 1,2 Mds d’euros (proposition de l’économiste Alain Trannoy).

• Cinquième inégalité à combattre : l’inégalité face à l'orientation et à la sélection. C’est sans doute aujourd’hui la plus déterminante compte tenu de la massification ces dernières années de l’enseignement supérieur (2 300 000 étudiants, doublement en 20 ans) : privilège des étudiants disposant de « capital social », sélection par l’échec à la fois féroce et opaque, filières « détournées » (les IUT et les STS accueillent sur dossier de bons élèves des séries générales alors que les bacs technologiques voire professionnels se retrouvent dans les filières non sélectives de l’université pour lesquelles ils ne sont pas préparés)… D’ailleurs près de la moitié des étudiants sont aujourd’hui inscrits dans des filières sélectives sur dossier, examen ou concours. Il est donc urgent de mettre fin à ce système au nom d’une égalité réelle des chances, de la transparence et de la responsabilisation de chacun. Dans son contenu, la réforme de l’université sera principalement celle du premier cycle, et notamment de la première année de l’université, puisque c’est là que se concentrent les problèmes : accueil obligatoire de « tous » les bacheliers (après la sélection des CPGE, des STS et des IUT…), inadaptation des formats pédagogiques (cours magistraux et TD surpeuplés dans certaines filières), hyper-sélection par l’abandon (45% de taux d’échec les deux premières années mais avec des différences notables selon l’origine sociale/scolaire des étudiants : 60% d’échec pour les moins favorisés). Une des actions prioritaires, avant la réforme pédagogique elle-même, serait d’orienter les étudiants lors de leur premier cycle à l’université : première année généraliste (de type « propédeutique » ou « collège universitaire »), entretien-discussion d’orientation avec un enseignant à l’issue de celle-ci, passerelles entre les filières grâce à la généralisation du système « majeure-mineures » dans le choix des matières durant les trois premières années (licence). Une meilleure gestion prévisionnelle des filières et de leurs débouchés à 3-5 ans devrait également être mise en place aussi bien pour les concours de la fonction publique que pour l’emploi dans le secteur privé (en collaboration avec les administrations de l’Etat et des CT, le service public de l’emploi et les chambres de commerce et d’industrie notamment). Enfin, plus généralement, l’université doit pouvoir accueillir des formations différentes (professionnelles initiale et continue, généralistes, recherche…) en assumant ces différences sans que cela pénalise l’une ou l’autre de ces spécialisations mais sans laisser aux étudiants l’illusion d’une « égalité de résultats ». Il faut donc absolument refuser à la fois la « secondarisation » de l’université (c’est-à-dire des objectifs quantitatifs du type 60% d’une classe d’âge au niveau licence par exemple) et sa « sanctuarisation » (une université faite par les chercheurs pour les futurs chercheurs…). L’université doit être à la fois « généraliste » (tous types de formation, recherche fondamentale…), « spécialisée » (notamment après l’orientation du premier cycle) et le lieu privilégié de l’égalité des « possibles » (E. Maurin) ou des « capabilités » (A. Sen), c’est-à-dire du choix et des moyens de choisir pour chacun.

1er axe de réforme : donner davantage de moyens aux universités et aux étudiants

• Aujourd’hui, le budget de l’université en France est de 9,5 Mds d’euros (dont 0,3 Md de droits d’inscription) pour 1 400 000 étudiants dans les universités stricto sensu (pour 2 300 000 élèves et étudiants dans l’enseignement supérieur : 77 000 en CPGE, 110 000 en IUT, 190 000 dans les écoles de commerce et d’ingénieur, 230 000 en STS). Par comparaison, le budget de l’Université d’Harvard aux Etats-Unis est de 2,3 Mds d’euros par an pour 20 000 étudiants (dont 0,2 Md de droits d’inscription). L’allocation des ressources aux universités se fait notamment selon le système dit « San Remo » (pour plus de 1 Md d’euros) qui attribue une enveloppe à chaque établissement en fonction de ses effectifs, de sa surface, de ses « besoins » pédagogiques, ce qui entraîne une inflation des diplômes et un nivellement de la qualité sans aucune reconnaissance ou rémunération de la performance (par exemple à partir des débouchés offerts aux étudiants). L’évaluation des besoins pour une « remise à niveau » est d’environ 10 milliards d’euros nets sur 5 ans (2007-2012). Cette somme correspond à la fois au doublement du budget de l’Etat pour l’enseignement supérieur, à la mise à niveau prônée par la « stratégie de Lisbonne » de l’UE (faire passer les dépenses consacrées à l’enseignement supérieur de 1,1% du PIB aujourd’hui à 1,7% en 2012, c’est-à-dire au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE) et au chiffrage avancé par Elie Cohen et Philippe Aghion dans leur rapport au CAE de 2004 « Education et croissance » : une hausse de 0,5 point de PIB pour l’enseignement supérieur – pour mémoire les Etats-Unis y consacrent, en % du PIB : 2,7, le Danemark 1,9, l’Allemagne 1 et le Royaume-Uni 1.

• La réforme ne pourra donc en aucun cas se faire à coût constant pour le budget de l’Etat. Un gros effort de l’Etat est nécessaire à la fois pour rattraper le retard d’investissement des dernières années, pour montrer la détermination politique à réformer l’enseignement supérieur et pour donner du « grain à moudre » à la négociation – condition indispensable de son acceptabilité.

• Mais ni le budget de l’Etat (hausse des impôts, réaffections de crédits…) ni la dette publique ne peuvent prendre en charge la totalité de cette hausse de la dépense pour l’enseignement supérieur. Ce n’est tenable ni du point de vue des finances publiques compte tenu de leur situation actuelle ni de celui de l’équité vis-à-vis de nos concitoyens puisque seulement un peu moins de la moitié d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur (et que 20% de cette même classe d’âge dépasse le niveau bac+3). Les enfants issus de familles dont le chef appartient à la CSP « ouvriers » ne représentent que 10% des étudiants dans le supérieur alors qu’ils sont 33% issus des CSP enseignants, cadres et professions libérales – contre 20% et 10% du poids respectif de ces CSP dans la population active.

• La contribution des collectivités territoriales (régions et grandes agglomérations) doit être accrue. Les CT ont en effet un rôle important à jouer dans l’évolution des universités, essentiellement dans les domaines de la formation professionnelle et de l’amélioration de la vie étudiante (logement et transport notamment). Elles devront être plus étroitement associées aux décisions et à la gouvernance des universités en échange de l’effort financier qu’elles consentiront.

• Les réformes structurelles dont il est question plus loin permettront également de valoriser et de développer les « ressources propres » de l’université (formation continue, redevance des brevets, contrats de recherche…) que celle-ci devrait pouvoir utiliser de manière autonome.

• La part du financement privé de l’enseignement supérieur doit également augmenter (aujourd’hui 0,1% du PIB). Ce financement reposant à la fois sur les fonds privés investis dans l’enseignement supérieur et sur le paiement des droits d’inscription par les étudiants. Ce sont ces deux ressources qu’il faut augmenter en soutien de l’effort réalisé par la collectivité nationale et les collectivités territoriales.

• L’apport de fonds privés pourrait se faire par l’intermédiaire de fondations au statut spécifique que pourraient créer les entreprises – ou des groupements d’entreprises lorsque celles-ci ont une taille insuffisante. Il pourrait également se faire sur des projets définis en commun par l’université notamment, la puissance publique et les apporteurs de fonds privés suivant une logique de contractualisation public-privé. Ces deux voies permettant d’impliquer de nouveaux acteurs dans l’enseignement supérieur tout en régulant l’emprise de ceux-ci sur la définition de l’offre de formation.

• Une réforme en profondeur de l’université doit aborder de front la question de l’augmentation des droits d’inscription. A la fois pour des raisons d’efficience budgétaire (coût croissant des études, insuffisance des financements publics, nécessaire autonomie de gestion des établissements…) et pour des raisons d’équité (le système actuel de droits d’inscription identiques pour tous, soit environ 150 euros, favorise les étudiants issus des familles les plus aisées). De plus la quasi-gratuité du service n’encourage pas l’usager à la responsabilisation : inscriptions de « faux étudiants » qui bénéficient ainsi des droits liés au statut (sécurité sociale, carte d’étudiant, prêts préférentiels…), dilettantisme vis-à-vis des examens et des obligations de scolarité, absence de respect des locaux, du matériel et de la fonction enseignante…

• L’acceptabilité d’une réforme des droits d’inscription pour les étudiants (à travers leurs syndicats en particulier) ne pourra se faire qu’à deux conditions : une amélioration substantielle des conditions de la vie étudiante (logement, conditions matérielles et pédagogiques d’étude, accès à l’emploi pendant les études…) ainsi que la mise en place d’un système de bourses et de prêts considérablement développé – dont la réforme anglaise en cours pourrait fournir un bon exemple. Aujourd’hui, les frais liés à la vie étudiante sont financés à 40% par des emplois parallèles en cours d’études, à 35% par les familles et à 25% par les systèmes d’aide publique (bourses notamment). Il est donc indispensable de développer à la fois cette aide et les prêts aux étudiants.

Université: une réforme indispensable et... urgente

La situation actuelle de l’université française est très préoccupante. Elle remplit mal ses principales missions et souffre d’un lourd déficit de moyens pour y parvenir.

Des missions mal assurées

• L’université remplit mal son rôle de formation à la vie professionnelle : inadéquation des formations aux besoins de la société (notamment en lettres et sciences humaines), insuffisance des cursus professionnels (IUT, licences et masters pro), très grande insuffisance de la formation continue (inadaptation des horaires, absence de liens structurés avec le monde professionnel, présence des différents organismes de formation professionnelle hors contrôle universitaire), distinction universités-grandes écoles…

• L’université n’est pas le lieu privilégié de la recherche : séparation atypique par rapport aux pays comparables entre enseignement supérieur et recherche, autonomie de gestion et de projet des organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA…), dissémination des moyens financiers et humains.

• L’université n’assure pas suffisamment son rôle d’ascenseur social : reproduction des inégalités (notamment en termes de capital social) dans l’accès, le choix et la réussite des études, sélection par l’échec et l’abandon prématuré des études…


Un déficit de moyens

• L’université souffre d’une grave crise de financement : elle est sous-financée par rapport à l’enseignement secondaire qui a été privilégié à son détriment ces dernières décennies, elle est sous-financée par rapport à ses homologues étrangères et aux différents critères internationaux (OCDE, UE…), elle est sous-financée par rapport aux autres institutions de l’enseignement supérieur (grandes écoles, STS, IUT…).

• L’université souffre également d’un problème d’organisation et de gouvernance : absence d’autonomie, gestion centralisée et uniforme, taille trop petite, obligation d’accueillir tous les bacheliers sans moyens réels d’orientation, cloisonnement trop grande entre disciplines et entre filières.

• L’université est aussi le lieu d’une mauvaise ou d’une absence de gestion des ressources humaines : rigidité statutaire des enseignants-chercheurs, faible attractivité de la carrière en termes de rémunération et de mobilité, insuffisance des personnels d’encadrement administratif, insuffisance de la prise en compte de la différenciation des tâches des enseignants-chercheurs (enseignement, recherche, encadrement, administration, formation…).

Pourtant, chacun s’accorde à reconnaître que la société du savoir et de la connaissance est devenue une nécessité impérieuse pour tout pays ou toute région qui souhaite rester compétitif au XXIe siècle. L’OCDE (à travers la notion de « capital humain » mise en avant dans ses indicateurs) aussi bien que l’Union européenne (à travers les objectifs de la « stratégie de Lisbonne » notamment) ont mis l’accent sur l’objectif prioritaire que représentent l’enseignement supérieur et la recherche dans cette perspective.

D’autant que la compétition universitaire est aujourd’hui internationale comme le montrent différents classements et palmarès (malgré des biais méthodologiques indéniables : part démesurée de la recherche scientifique, langue anglaise…). L’Université Jiao Tong de Shangaï classe ainsi, en 2005, 36 universités américaines dans les 50 premières mondiales, pour seulement 9 européennes et 1 française (Paris 6 qui arrive à la 46e place). Le Times Higher Education Supplement arrive, à partir d’une méthodologie différente, à un résultat tout aussi préoccupant : sur les 50 premières, 20 sont américaines et 13 européennes, dont 2 françaises pour 8 britanniques. Ainsi que l’on regarde ces palmarès ou que l’on observe le pays d’origine des prix Nobel toutes disciplines confondues (19% seulement sont européens depuis 1995) ou le classement des départements d’économie (sur les 50 premiers mondiaux, 5 européens et aucun français), un fait revient dans chaque classement : l’Europe est très en retard et la France est quasi-absente.

L’autre aspect déterminant de la compétitivité du système universitaire tient dans sa capacité à attirer les meilleurs étudiants et chercheurs étrangers et à pouvoir retenir les meilleurs enseignants-chercheurs nationaux. Il s’agit là d’un défi essentiel pour la France – et plus généralement pour l’Europe – qui accueille beaucoup d’étudiants des pays en développement, notamment d’Afrique, et perd de plus en plus de chercheurs et d’enseignants de qualité au profit de systèmes universitaires mieux dotés et mieux organisés (notamment aux Etats-Unis) au sein desquels ils trouvent les moyens de travailler à la fois plus efficacement et plus dignement.

Dans ce cadre, et compte tenu de la situation critique actuelle, la réforme de l’université apparaît aujourd’hui comme indispensable et urgente.

• Le rattrapage est indispensable (mise à niveau du financement, objectif d’une plus grande égalité, nouvelle gouvernance, rapprochement de l’université et de son environnement économique et social, accroissement de son poids dans la recherche, internationalisation…) sous peine d’une relégation définitive de la France comme pays de seconde zone sur le plan de la formation de sa population – avec toutes les conséquences de déclin économique que cela impliquerait du fait du lien étroit entre capacités économiques, croissance et niveau d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche.

• La réforme doit être une priorité politique. La réforme est non seulement indispensable mais elle est aussi urgente. Elle doit ainsi être affichée en tête des priorités de l’action d’un nouvel élu à la Présidence de la République et d’une nouvelle Assemblée nationale en 2007. Cette priorité doit notamment se manifester dans les choix budgétaires et la loi de programmation qui incarneront la mise en œuvre de la réforme.

• La réforme doit être profonde. Il ne peut en aucun cas s’agir d’un replâtrage, elle doit donc être substantielle et suivie sur toute une législature et un mandat présidentiel. Il s’agit d’une réforme de l’ampleur de celle d’Edgar Faure en 1969 ou de Alain Savary en 1984. Elle sera difficile car elle devra s’attaquer de front aux différents aspects de la crise de l’université. Ainsi, par exemple, l’augmentation des moyens devra-t-elle aller de pair avec la réforme des structures et de la gouvernance, car des moyens supplémentaires sans une nouvelle organisation ou une nouvelle organisation (autonomie notamment) sans moyens nouveaux conduiraient à l’échec.

La réforme doit être exemplaire dans sa méthode. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, la réforme de l’université doit aussi servir d’exemple à d’autres réformes, à la fois dans son inspiration en mêlant des objectifs d’efficacité et d’égalité, puisant aux sources des « meilleures pratiques » nationales et internationales, et dans sa mise en œuvre : négociation approfondie avec tous les acteurs, transparence vis-à-vis de la société, implication des élus nationaux et locaux, évaluation permanente des résultats et adaptation des pratiques.